“Si ton église est sacrée, notre sœur l’est aussi; si notre sœur n’est pas sacrée, ton église ne l’est pas non plus.” Le grand coësre à l’évêque de Paris. Victor Hugo, Notre-Dame-de-Paris.
La toile est de format triangulaire, la pointe vers le bas ; sur un fond rouge, laissant apparaître les effets de touche, une figure féminine les bras levés, en position d’orante, regarde vers le haut ; son visage est affligé. La femme est nue, voilée d’un tissu bleu. Un sein est apparent, ainsi que le nombril.
La position reprend la très ancienne iconographie de l’orante, bras étendus vers le ciel. Le voile bleu rappelle la figure de la Vierge, et le visage douloureux l'expression emplie de pathos de la Mater Dolorosa. Figure antique de la mère éplorée, que l’on retrouve aussi bien dans la figure d’Ishtar, d’Isis et de Marie, qui raconte la douleur causée par la mort d’un être aimé (enfant, époux) ou suite à une catastrophe (comme la destruction d’une ville[2]). A travers un pathos exacerbé, la figure de la Mater Dolorosa évoque la violence et la force de son affectivité.
Le sein apparent rappelle que le corps féminin est nourricier, et que c’est là sa fonction première. Le nombril renvoie également à la maternité, à la force créatrice du corps féminin. A l’instar des divinités allaitantes des religions antiques païennes[3], la femme « incarne donc la nature, en tant qu’elle produit la vie d’une part, et que ses secrets restent impénétrables d’autre part. Et lever le voile de la déesse devint ainsi la métaphore de la quête de la vérité dans la postérité d’Héraclite[4], jusqu’à l’époque moderne[5]. » Selon cet historien antique, « Phusis kruptesthai philei » : la Nature aime à se cacher. Cette affirmation crée le débat entre les auteurs qui prétendent lever le voile dont sont couverts les secrets de la Nature, et ceux qui, au contraire, estiment que ce serait là une faute, qu’il faut respecter ce voile et ne pas le lever.
Cette femme implore face à tous les jugements et critiques que les femmes reçoivent sur leur corps, entre sexualisation à outrance et pudibonderie ridicule, se joue une profonde incompréhension. La femme apparaît ainsi dans son appareil le plus simple et naturel, s’opposant ainsi au voile, symbole des nombreuses contraintes imposées au corps des femmes depuis plusieurs milliers d’années[6]. La femme tête nue représente l’impudeur, à l’inverse de la figure voilée, sacralisée dans le christianisme : Paul, dans l’Epitre aux Corinthiens, enjoint les femmes qui prophétisent dans l’espace sacré à se couvrir la tête. « L'homme est l'image et la gloire de Dieu », écrit-il ainsi : lui n'a donc pas besoin de se voiler. En revanche, parce que la femme « est la gloire de l'homme » et que « l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme », cette dernière « doit porter sur la tête la marque de sa dépendance ».
Ici le voile ne cache pas le corps mais participe à son dévoilement, comme réappropriation du corps et donc symbole de liberté. Liberté individuelle où le corps appartient à celle qui le possède et réflexion symbolique autour du corps de la femme comme origine du monde. C’est cette double implication, naturelle et culturelle, qui est mise en exergue ici à travers la supplication du sujet : pourquoi le corps féminin est-il perçu comme une menace, alors qu’il est la matrice originelle et créatrice ? Pourquoi les femmes sont-elles tuées et opprimées ? Comment faire cesser ces oppressions ?
Cette toile prend la forme d’un triangle inversé, rappelant le triangle pubien féminin, par opposition au triangle pointe en haut masculin, référent à Dieu le Père. Ici, la supplication se dirige vers le céleste, sans s’adresser à un dieu en particulier. D’ailleurs, la lumière dans cette œuvre n’est pas zénithale : elle vient de la droite, comme si la femme était abandonnée à son sort, sans personne à qui s'adresser.
La souffrance, la nudité, l’imploration de cette allégorie qui veut dénoncer l’incompréhension face à toutes les violences commises par la société envers les femmes : violences domestiques, sexuelles, agressions verbales, harcèlement de rue, différences de salaires, injonctions à la beauté, à la minceur, etc.
Cette œuvre interroge le regard que l’on porte sur la femme et son corps : c’est une œuvre politique qui engage le spectateur à prendre parti. Elle invite les femmes à s’extraire du rapport de domination homme-femme, qu’elles entretiennent aussi ; et les hommes à se questionner sur leur participation à ce système, par l’action ou par l’indifférence.
[1] « Hosanna » vient de l’hébreu : הוֹשַׁענָא hošanna « de grâce, sauve » et du grec : ὡσαννά hôsanná
[2] Pour Samuel Noah Kramer dans son livre Weeping Goddess: Sumerian Prototypes of the Mater Dolorosa1, « C'est après la destruction de la civilisation d'Ur III, vers 1900 av.J.-C., qu'apparaît l'image pathétique de la "déesse en pleurs" dans la littérature sumérienne ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Mater_dolorosa
[3] Isis la mère allaitant son fils Horus ; Artémis nourrissant la Nature avec plusieurs rangées de seins
[4] Héraclite est un philosophe grec, né à Éphèse vers 576 av. J.-C., mort vers 480 av. J.-C. rattaché aux présocratiques.
[5] https://www.cairn.info/revue-l-enseignement-philosophique-2013-1-page-62.htm
[6] « [Le voile] est en effet présent dans l’ensemble du bassin méditerranéen depuis la nuit des temps puisque la première loi imposant aux femmes mariées de se couvrir la tête remonte à l’époque mésopotamienne, soit il y a 5000 ans environ. » https://www.unige.ch/campus/numeros/121/recherche3/#:~:text=Premier%20constat%3A%20l'usage%20du,y%20a%205000%20ans%20environ
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2 commentaires
La toile est magnifique, la signification également. C’est une œuvre d’art et le format sort du commun. J’adore.
Explications des intentions de l’artiste très intéressantes!